#BookTok - pour un nouveau marketing littéraire
À défaut d'avoir lu de bons livres grâce à TikTok, j'ai lu de bons articles sur le sujet ! 🔮 Je vois, je vois... de grandes opportunités tiktokiennes pour le secteur littéraire...
Hello,
Je suis très heureuse de vous retrouver pour ce numéro consacré à mes vieux amis les livres, dont j’aimerais qu’ils fassent davantage tourner l’économie mondiale 🔥
Cela fait quelques mois que j’ai désinstallé TikTok, d’une part pour récupérer le temps passé dessus, et d’autre part pour me libérer de son influence consumériste. Je ne pensais pas prendre un jour cette décision, car TikTok a été salvateur. J’ai profondément aimé les recettes végé, les intérieurs maximalistes, les mini essais anticapitalistes, et autres boosters de sérotonine généreusement offerts par l’algorithme ; mais récemment, je n’y trouvais plus mon compte.
💧 La goutte d’eau a été un n-ième livre acheté sur les recommandations de BookTok (terme qui regroupe toute la communauté TikTok qui recommande des livres), évidemment américain, évidemment en rupture de stock, et dont le marketing m’a tellement magnétisée que je suis passée par Amazon pour l’obtenir en urgence avant l’été. Et ce livre, comme la plupart des autres best-sellers de BookTok, était mauvais. Je me suis forcée à le finir en guise de punition, et qu’on ne m’y reprenne pas.
Néanmoins, à peine sevrée d’un algorithme, je me trouvai aussitôt en quête d’un autre. Qui, mieux que TikTok, pour me conseiller ma prochaine lecture ? Augustin Trapenard a repris La Grande Librairie, mais une émission plateau de 1h30 un soir de semaine aura du mal à récupérer une audience habituée à des vidéos curatées de 30 secondes. Et on ne peut pas parler de dénicheur de pépites : Despentes avait déjà absorbé toute la couverture de la rentrée littéraire lorsqu’elle a été invitée.
Bien que les livres qui en bénéficient ne soient pas de grande qualité, le dispositif BookTok est un tour de force de curation et de marketing, dont on a beaucoup à apprendre pour relancer une industrie, qui après un sursaut pendant les confinements, reprend son déclin.
Pourquoi la France doit s’emparer du BookTok
Les maisons d’édition commencent tout juste à saisir l’opportunité. En septembre, TikTok annonçait une nouvelle fonctionnalité, fruit d’un partenariat avec Penguin Random House, qui permet de créer un lien vers son livre favori et de le taguer dans les vidéos. (👉 Résumé du communiqué de presse via Actualitté.)
La maison d’édition Hachette vient d’annoncer une croissance de ses revenus, en partie grâce à TikTok. Dans un contexte difficile pour l’industrie, le groupe annonce +3,6% au troisième trimestre 2022 :
“La performance d'Hachette s'explique, entre autres, par l'effet TikTok où de nombreux utilisateurs de l'application de vidéos courtes partagent en masse des contenus mettant en scène leurs recommandations littéraires avec le hashtag #booktok”.
Les Echos, 27 oct. 2022
Bien, maintenant qu’on a la preuve que ça fonctionne, la prochaine étape est de créer un booktok français (qui existe déjà, mais à la marge, et qui semble se concentrer essentiellement sur David Foenkinos 😩 ) qui fasse rayonner nos auteurices à l’international 🌍.
Un tour de maître marketing
En y regardant de plus près, les vidéos de recommandation littéraire reprennent les essentiels d’une bonne opération de communication : une promesse claire, de la répétition, une plateforme utilisée par quelque 970 millions de personnes, dont on connaît beaucoup (beaucoup !) de choses. La recette :
Répétition : les booktokeurs parlent toustes des quelques mêmes livres, et n’hésitent pas à faire 4 ou 5 vidéos identiques sur le même sujet.
Promesse : elle est simple et rassurante, de deux types :
Basée sur les livres similaires (façon “radio liée à un titre sur Spotify”) : Si vous avez aimé [ce livre], vous allez adorer celui-ci.
Basée sur un changement d’état psychologique : “livres courts qui ont changé ma perspective sur la vie”.
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Cible : nul n’ignore la puissance de recommandation de l’algorithme TikTok. À cette personnalisation s’ajoute un élément de massification : les 10-19 ans sont la tranche d’âge la plus représentée sur TikTok (25% des utilisateurs).
On comprend mieux pourquoi le BookTok n’est pas pour tout le monde :
La communauté BookTok (et TikTok en général) est très jeune et consomme des livres pour ados ou jeunes adultes. J’ai grandi avec le BookTumblr, qui m’a fait découvrir John Green et The Perks of being a wallflower, qui m’ont plu lorsque j’avais 13 ans, mais qui me sembleraient bien niais aujourd’hui.
La communauté BookTok (et TikTok en général) est anglosaxone/phile. Et mêmes les quelques chaines de BookTok françaises que j’ai trouvées recommandent énormément de livres américains.
Si les adolescents sont très présents sur TikTok, la plateforme attire aussi les plus de 20 ans, de 30 ans, etc. Pourquoi ne pas s’adresser à ce public avec des recommandations adaptées ?
🎨 Never judge a book by its cover
Vous avez sans doute déjà remarqué que les livres anglo-saxons ont des couvertures très graphiques, colorées, originales. Le livre est réellement un objet-livre, agréable à regarder. Sa couverture est son packaging, et en cela, agit comme un signal. Elle doit pouvoir interpeller son coeur de cible immédiatement, et le lecteur pourrait acheter le livre sans même en avoir lu le résumé.
Dans un article pour Printmag, R.E Hawley observe un style de couverture récurrent, qui renvoie à un certain genre de livre :
“Ce sont généralement des romans, presque toujours écrits par des femmes de couleur (…) c’est le genre de livres qui génèrent du buzz et une bonne couverture médiatique, qui ont leur place au sein du Oprah Book Club.”
Ayant déjà fait ce même constat, j’ai voulu aller plus loin dans la démonstration. Certaines de mes lectures (anglosaxones) peuvent être rassemblées par couverture et par type de livre. Je vous partage ma matrice (homemade) :
Ces stratégies visuelles reprennent la logique algorithmique imposée par Amazon, qui, on le rappelle, était initialement une librairie en ligne. Le message est, comme sur TikTok, sur Netflix, ou Spotify, toujours le même : si vous avez aimé ce livre, avec ce type de couverture, vous allez aimer celui-ci.
R.E Hawley fustige cette standardisation, estimant que chaque livre devrait avoir sa propre couverture, sa propre identité. Je pense pour ma part que pour encourager les achats de livres, il est grand temps de s’essayer à de nouvelles méthodes, en mesure de rassurer le lecteur. Qu’en pensez-vous ?
Plongée dans le dispositif du best-seller
Dans un article pour la revue AOC, le chercheur en littérature Jérôme Meizoz explore l’évolution et le rôle du marketing littéraire, et particulièrement le dispositif du best-seller.
La première explication semble implacable, et en même temps, ne nous avance pas tellement : “Pour le “grand public” ici concerné, les best-sellers partagent bien un trait générique, qui n’est ni formel ni thématique, mais qui consiste tout bonnement dans leur succès.” Ce trait d’esprit emprunté à Gérard Genette résume cyniquement le phénomène BookTok. Il suffit de proclamer que le livre a plu à des millions de personnes pour qu’il se vende. C’est bien ce qui se passe lorsqu’une vidéo TikTok aux plusieurs millions de vues recommande un livre.
💸 Comment écrire un best-seller ?
Pour ce qui est de l’écriture, Jodie Archer, ancienne éditrice de Penguin, et Matthew Jockers, chercheur au Stanford Literary Lab, ont établi dans The Best-seller code (2016) les points communs que l’on retrouve dans les 20 000 best-sellers du New York Times depuis 30 ans :
Seulement 3 ou 4 thèmes traités au cours du livre.
Ces thèmes tournent autour de l’intimité, de la chaleur humaine, des relations sociales et domestiques.
Un bon rythme qui repose sur une forte tension narrative.
Pas de mots compliqués, de phrases alambiquées. (Parmi les 491 mots les plus fréquents, on trouve surtout « thing », « okay », « to do » et « very »…).
Des personnages actifs, et donc davantage de verbes d’action que de verbes passifs.
Là aussi, je comprends mieux pourquoi chaque lecture motivée par TikTok a été une grande déception. Il est bon de garder en tête que cette étude porte sur les livres américains, néanmoins, les auteurs de best-sellers français (Marc Lévy, Amélie Nothomb, Anna Gavalda, Guillaume Musso) semblent respecter à la lettre ces préceptes.
L’ère du “capitalisme artiste”
Tout ce dispositif n’est qu’un des symptômes du capitalisme artiste, formule que l’on doit au sociologue Gilles Lipovetsky, et qui designe un « système qui produit à grande échelle des biens et des services à finalité commerciale (…), qui utilise la créativité artistique en vue de la stimulation de la consommation marchande et du divertissement de masse. »
En conséquence, vous pouvez déduire la dernière clé du succès : la peopolisation de l’auteur. Si la littérature adopte les codes du divertissement de masse, alors les auteurices doivent jouer le jeu.
Dans un numéro de Dirt, consacré à l’industrie du livre, on retrouve l’idée selon laquelle les auteurices sont les nouveaux influenceurs, parce qu’ils offrent une vision du monde à laquelle le lecteur choisit d’adhérer. En résulte un nouveau paroxysme :
Writing a book is “the ultimate influencer status symbol”.
Sources :
“Qu’est-ce que le marketing littéraire ?”, Jérôme Meizoz, AOC Média, 2019
Dirt: Booksmart, 2022
The Best-seller code, Jodie Archer et Matthew Jockers, 2016
Mentions : L’esthétisation du monde. Vivre à l’âge du capitalisme artiste, G. Lipovetsky et J. Serroy, 2013. Bardadrac, G. Genette, 2006.
📰 Cherche désespérément le Netflix du livre
J’ai Pinterest pour la décoration, les radios de Spotify pour la musique, Letterboxd pour les films. J’ai installé quelques applications dédiées (Bookshelf, Gleeph), mais elles manquent terriblement d’affordance, et n’ont créé aucune addiction chez moi… 😒.
✨BookPrisme : mes recommandations pour trouver votre prochaine lecture ✨
En attendant que la Silicon Valley cracke le sujet, voici mes conseils :
Parlez littérature avec vos ami·es, collègues, connaissances. Ça changera d’Elon Musk !
Bookmakers : excellent podcast d’Arte Radio. Richard Gaitet reçoit des auteurs contemporains (Mohamed Mbougar Sarr, Lola Lafon, Sophie Divry…) et déploie sur 3 heures de podcast leur vie et leur rapport aux livres. Tout en délicatesse et précision, et un excellent moyen de savoir quoi lire ensuite.
Vos revues préférées : Socialter a souvent plusieurs pages de recommandations littéraires.
Des librairies avec une ligne éditoriale affichée et qui résonne chez vous : à Paris, je vais chez Le Pied à Terre dans le 18ème, Un livre une tasse de thé dans le 10ème.
Et vous, quelles sont vos ressources pour trouver vos prochaines lectures ?