Hip-Hop360, consulting, et essais vidéo
Bienvenue dans Prisme ! Voici la première édition, dans laquelle j'ai creusé quelques sujets qui m'ont travaillée ces dernières semaines. Enjoy!
Hello hello,
Il y a quelque temps déjà, je me suis rendue à la Philarmonie de Paris pour l’exposition événement Hip-Hop360, et, si j’ai passé un très bon moment, j’ai aussi pesté contre la foule de monde qui avait eu la même idée que moi en ce dimanche après-midi. Cette foule très blanche et très bobo, qui faisait découvrir NTM à plein de petites têtes blondes. J’ai trouvé ça ironique, sans bien savoir pourquoi.
Récemment, j’ai passé une soirée d’anniversaire à discuter avec un ami d’amie qui travaille dans le consulting. Sans que je ne dise rien de mal de son métier, il s’évertua pourtant à me dire que c’était un job passionnant, que tout n’était pas que du bullshit, comme on l’entend partout en ce moment.
Quelques jours plus tard, je croisais une jeune femme dans le métro, au look décontracté-maîtrisé-bobo et qui me rappelait justement le personnage d’Hélène, consultante désabusée imaginée par Nicolas Mathieu dans Connemara, son dernier roman. La passagère du métro a sorti un livre de la poche de son k-way : Connemara.
Refermant ce même livre, je me suis réfugiée dans mon havre de paix - TikTok, où j’y apprends que les vidéos peuvent maintenant durer jusqu’ à 10 minutes. Voilà qui va peut-être soigner mon addiction.
Voici donc la backstory de ce premier numéro de Prisme ! Pour faire quelque chose de mes questions, j’ai fouillé un peu à droite à gauche, et je vous partage tout ci-dessous 👇
Bonne lecture !
🔊 Philarmonie, Hip-Hop, et culture légitime
La Philarmonie de Paris, lieu emblématique de la culture légitime, affiche complet tous les week-ends depuis le lancement de l'exposition Hip-Hop 360, Gloire à l'art de rue. Est-ce là l'ultime étape de légitimation de cette pratique populaire ?
👉 Pour se poser des questions :
La muséification d'une pratique est une des manières de la légitimer. D'après la sociologue Marie Carmen-Garcia, le processus est en cours depuis les années 1990s, lorsque les politiques culturelles commencent à s'intéresser au hip-hop, et ouvrent des formations dédiées. Cela a pour effet de transformer cet art de la rue en une danse moins compétitive et plus chorégraphiée, et de construire un ethos fondé sur les valeurs d'autonomie.
In Informations sociales, 2015
Si les élites accèdent à l'art de la rue, à quoi la rue accède-t-elle en retour ? Dans un récent article pour AOC, le sociologue Philippe Coulangeon relève : "L’éclectisme culturel des élites « omnivores » (...) opère de manière parfaitement asymétrique par l’exploration, depuis les classes supérieures cultivées, de l’univers de la culture de masse et de la culture populaire, et non par un accès élargi des classes populaires à la culture savante."
Dans son étude des publics publiée en 2017, la Philarmonie de Paris révèle que l'âge moyen des visiteurs est de 47,9 ans, et que 65% d'entre eux ont un niveau bac+3 ou plus, (contre 11% sur la population nationale). La structure réitère malgré tout son ambition de rajeunir et de diversifier les publics. Il serait intéressant d’avoir une nouvelle étude des publics après cette exposition.
Au prisme du consulting : enquêtes sur une addiction étatique
👩⚕️ Le diagnostic est sans appel : le gouvernement est accro aux cabinets de consulting. Deux enquêtes se croisent :
Au terme d’une enquête de 4 mois, le Sénat vient de rendre un rapport qui confirme l’omniprésence des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques. Dans le cadre de l’enquête, les dirigeants d'Accenture ou encore de McKinsey ont été auditionnés. “Verdict : l’Etat a dépensé plus de 1 milliard d’euros en 2021 pour ces missions, la moitié en conseil informatique, l’autre en stratégie et organisation.” (Le Monde, 17/03)
On y apprend aussi que McKinsey est accusé d’évasion fiscale en France : le géant du consulting n’aurait payé aucun impôt depuis 10 ans, et a donc menti durant son audition au Sénat. 😶
Caroline Michel-Aguirre et Matthieu Aron, grands reporters pour L'Obs, viennent de publier leur propre enquête sur ceux qu'ils appellent Les Infiltrés. Le gouvernement n'ose plus prendre de décision sans demander son avis à un cabinet de conseil. Ce qui pose une question d'ordre démocratique : comme le rappelle Matthieu Aron, le peuple français n’élit pas un cabinet de conseil.
Le système s'est installé depuis 15 ans. La mode au consulting daterait de 2007 et du quinquennat de Nicolas Sarkozy, marqué par l'intention de réduire le nombre de postes dans la fonction publique et d'augmenter l'efficacité des travailleurs. Autre facteur : la numérisation des services de l'Etat, énorme chantier que le gouvernement a complètement délégué à des cabinets.
De quoi le consulting est-il le nom ?
Sur TikTok, les consultants font l'objet de blagues gentilles. Collectivement, les utilisateurs (y compris les consultants) admettent ne jamais avoir compris ce qu'était le consulting. Ce à quoi les consultants répondent par une acrobatie caractéristique : "Je vais me renseigner avec ma team et revenir vers vous".
L'autodérision dont ils font preuve ne semblent que témoigner de leur caractère intouchable : à qui profite la blague ?
Le nouveau roman de Nicolas Mathieu (Prix Goncourt 2018) revient avec un portrait criant de réalisme de l'univers du consulting. Rendant compte avec nuance des contradictions internes aux personnages, il rejette pourtant l'idée selon laquelle le consulting ne serait que de l'artifice - du bullshit : le consulting sert à rassurer le dirigeant dans sa décision (souvent déjà prise), à force de rationalité.
Dans une époque particulièrement anxiogène, la question semble légitime : quel prix sommes-nous prêts à payer pour être rassurés ?
Les prochains mois seront décisifs : si l’empire du consulting ne faiblit pas après une enquête et des révélations de cette ampleur, les cabinets seront les nouveaux dircab des candidats à la présidentielle.
🧠 Economie de l'attention : tout ne va pas si mal ?
⌚ TikTok annonce l'introduction de vidéos de 10 minutes sur sa plateforme, jusqu'alors célèbre pour ses clips de 15 à 180 secondes. Pourtant, on entend depuis des années que l'humain ne sait plus se concentrer plus de 30 secondes, alors, de quoi sommes-nous encore capables ?
En réalité, les courtes vidéos de TikTok n'ont pas remplacé les vidéos plus longues (20 minutes et plus) de YouTube. Les usagers passent en moyenne 23 minutes par jour sur YouTube, et regardent en moyenne plus de la moitié d'une vidéo.
Le succès persistant des essais vidéo (video essay), dans lesquelles des créateurs de contenu dissertent face caméra sur un sujet choisi, démontre que les utilisateurs cherchent des contenus développés, argumentés, et nuancés.
Jessica Maddox, chercheuse américaine spécialisée dans les médias et le numérique, explique dans une interview pour Vox qu’Internet a changé nos centres d'intérêt, mais pas forcément notre temps d'attention. Nous serions simplement devenus plus exigeants dans nos choix.
Le chercheur en sciences de l'information Yves Citton développe depuis 2014 la thèse selon laquelle l'attention est devenue une denrée rare, ciblée par le capitalisme. La valeur des objets, des idées, ou encore des personnes dépend de l'attention qu'on leur porte. Loin d'être défaitiste, Citton constate aussi que l'attention des jeunes est de plus en plus exigeante, et il préconise à tous de concevoir une hygiène de l'attention.
Il rappelle que cette crise de l'attention existait bien avant Internet, puisqu'elle trouve ses débuts dans la publicité. En ce sens, la mutation des business models basés sur l'abonnement plutôt que sur les revenus publicitaires constitue une manière de se protéger… de quoi avoir envie de s’abonner à une newsletter gratuite et sans pub, non ? : - )
C’est tout pour cette première édition ! Si ça vous a plu, inscrivez-vous, écrivez-moi, et surtout, partagez cette newsletter :