Man! Harry Styles a été écrit par une femme
Prisme est d'humeur pop (culture) aujourd'hui ! La Gen Z s'attaque une fois de plus aux normes de genre et ça me ravit.
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Coucou 👋
Si vous avez passé un peu de temps sur Internet récemment, vous avez sûrement vu passer des photos et vidéos du festival Coachella qui a eu lieu ces dernières semaines, et plus précisément, de Harry Styles à Coachella. L’ancien membre de One Direction a entériné limage de marque qu’il cultive depuis qu’il s’est lancé en solo : celle d’un homme en paix avec sa féminité.
Le chanteur a galvanisé les foules et les Internets, tout de sequins, de combinaisons, de rose, de fourrure et de plumes vêtu. Il a invité la reine des 2000s Shania Twain sur scène pour reprendre à deux voix son tube Man! I feel like a woman, a accompagné la chanteuse Lizzo sur I will survive, et a repris le single qui a valu la gloire de One Direction, What makes you beautiful.
Ces choix ne sont pas anodins et relèvent presque selon moi du retournement du stigmate. Harry Styles a construit sa carrière grâce à ses fans, des jeunes filles et jeunes femmes, et avec Coachella, il envoie le signal qu’il assume pleinement sa fanbase, alors même que les goûts des jeunes femmes sont généralement décrédibilisés. Sur TikTok, Harry Styles est l’archétype de l’homme “written by a woman”, je vous en dis plus ci-dessous.
Et c’est l’occasion pour moi d’aborder un sujet qui m’anime (m’énerve) : le manque de considération porté aux goûts des femmes et des jeunes femmes. Cependant, il se pourrait que le succès de Harry Styles soit révélateur d’un changement sur ce plan, alors allons-y !
Bonne lecture 🤲
💅 Written by a woman : la trend qui promeut le female gaze
La trend #WrittenByAWoman a émergé sur TikTok il y a environ un an en réaction aux vidéos parodiques #WrittenByAMan. La première désigne des hommes qui auraient pu être écrits par des autrices - comprenez : non-stéréotypés. La seconde parodie les personnages féminins vus sous le male gaze.
Le male gaze, concept défini par Laura Mulvey en 1975, désigne le fait que le regard dominant dans la pop culture est celui d’un homme hétérosexuel. Ce regard déshumanise le personnage féminin, souvent en l’érotisant. Pensez à la figure type de la femme fatale, qui use de son charme pour piéger un homme innocent.
📝 Pour mieux comprendre de quoi on parle, voici un petit lexique des archétypes que l’on retrouve dans la trend :
Une femme #WrittenByAMan correspond aux standards de beauté, est habillée de manière sexy bien qu’inconfortable, et agit toujours comme si elle essayait de séduire un homme, même quand elle est seule.
Une femme #WrittenByAWoman privilégie le confort plutôt que l’apparence, fait des blagues, a du caractère, ne cherche pas absolument à séduire un homme.
Un homme #WrittenByAWoman ne cherche pas à affirmer sa virilité et accepte sa part de féminité. C’est le saint-graal. Exemples : Harry Styles, Timothée Chalamet, Mark Darcy (Orgueil et Préjugés).
Un homme #WrittenByAMan ne fait pas trop partie de la trend, mais j’ai vu plusieurs vidéos qui disaient que Ben Affleck en était un bon exemple, et je pense que c’est assez parlant.
Je dois avouer que cette trend parodique me fait beaucoup rire. Après avoir intellectualisé le male gaze et expliqué en quoi il était problématique à coups d’essais féministes, on peut enfin le ridiculiser à grande échelle. Et je pense que c’est une grande avancée, car on ne lui donne plus de crédit. Qu’elles soient le fruit d’un travail conscient de dégradation des femmes, ou d’un manque de connaissances du genre féminin, ces représentations sont erronées. C’est, j’espère, le début d’un changement de paradigme.
Pour aller plus loin :
Visual Pleasure and Narrative Cinema (Plaisir visuel et cinéma narratif), Laura Mulvey
Le regard féminin, Iris Brey
Beauté fatale, Mona Chollet
Gone Girl, en film ou en livre (Gyllian Flinn)
🚩 C’est officiel : les hommes ne lisent pas assez les femmes
“Les hommes sont disproportionnément moins enclins à ouvrir un livre écrit par une femme”, conclut une enquête du Nielsen Book Research commandée par l’autrice Mary Ann Sieghart en 2021.
Tandis que les 10 autrices les plus vendues (parmi lesquelles Margaret Artwood et Jane Austen) ont un lectorat composé à 81% par des femmes et à seulement 19% par des hommes, les 10 auteurs les plus vendus sont lus à 55% par des hommes et 45% par des femmes, ce qui est bien plus équilibré.
Dans une moindre mesure (65/45), l’enquête a révélé la même tendance pour les ouvrages de non-fiction.
C’est un biais inquiétant, qui suggère qu’alors que les femmes sont réceptives à la vision du monde des hommes - et au male gaze qui peut aller avec, ces derniers ne sont pas enclins à rendre la pareille. On peut formuler plusieurs hypothèses derrière ce biais : les hommes jugent a priori que les femmes écrivent moins bien, et/ou qu’ils ne sont pas intéressés par les histoires qui y sont narrées, ou par le point de vue de personnages qui sont en général féminins. Pour les ouvrages théoriques, cela peut vouloir dire qu’ils les jugent moins compétentes pour un travail d’essai et d’analyse.
👉 “Why do so few men read books by women?”, MA Sighart, The Guardian, 2019
👀 Prenons un exemple concret : qui est lectorat de Prisme ?
Substack ne me donne que votre adresse email, et basta. Par curiosité, je vous propose de répondre à ce sondage anonyme. Je pourrai vous partager un petit camembert 🧀 car je suis aussi data analyst.
☝️ Je m'identifie comme :
Pour répondre, il suffit de cliquer sur une des 3 options (la mise en forme laisse à désirer mais ça fonctionne bien.)
👧 Les goûts des autres (des femmes)
En plus des représentations dictées par le male gaze, les goûts des femmes, et à plus forte raison des jeunes femmes, sont aussi mis à mal. Je vous parlais de Harry Styles qui défend ses fans. En réalité, c’est la version Gen Z de la fameuse histoire des Beatles, d’Elvis, de Cloclo : ces chanteurs qui doivent leur succès à leurs fangirls.
Le regard porté sur les fangirls est toujours négatif et dépréciatif, car ce qui est jeune et féminin est catégorisé comme futile et inintéressant. Si les jeunes filles aiment les choses typiquement féminines, elles sont décrédibilisées. A l’inverse, si elles aiment des choses codées comme masculines, on va estimer qu’elles essaient de séduire les garçons, et surtout qu’elles ne savent pas vraiment de quoi elles parlent.
Plusieurs articles comme celui-ci, et surtout plein de threads Reddit ou Quora, posent la question très légitime : “Pourquoi détestons-nous à ce point les adolescentes et leurs intérêts ?”. Aux antipodes de la figure de la jeune femme cliché se trouve le trope de la cool girl : la fille “qui n’est pas comme les autres filles”, parce qu’elle a des intérêts et un mode de vie masculins, tout en étant très attirante.
Cet examen rigoureux des intérêts énoncés par les filles se poursuit en général à l’âge adulte. Si une femme a le malheur de dire à une audience masculine qu’elle aime bien Tarantino (🤷), le rugby ou la physique, on lui posera souvent des questions, soi-disant pour faire la conversation, mais en réalité pour tester ses connaissances et décréter si elle est légitime à revendiquer cet intérêt ou non.
Je l’ai encore vécu récemment et j’ai le plaisir de vous retranscrire le dialogue sans artifice :
-Léna : J’aime beaucoup la socio, c’est ce que j’ai préféré pendant mes études !
-Mec : Ah ouais ? Et tu connais qui comme sociologue ?
-Léna : Comment ça je connais qui ? J’en ai lu pendant plusieurs années, je vais pas sortir une liste……………….. ?
-Mec : Bah allez, tu dis que t’as fait de la socio, tu connais Bourdieu ?
-Léna : ………………….. 😑🏃♀️
Après ça, j’ai rétorqué qu’heureusement qu’il existait des sociologues contemporains héritiers de Bourdieu, comme Bernard Lahire ou Philippe Coulangeon, et ça a clos le sujet.
Je sais que si j’avais été un homme, je n’aurais pas eu à surenchérir de la sorte simplement pour qu’on me laisse affirmer que j’aime bien la sociologie, je sais que la question aurait pu être “ah oui, et tu aimes bien qui ?” et non pas “tu connais qui ?”, mais je suis femme et quand on est femme… il faut mériter le droit d’avoir ses propres goûts.
Je vous renvoie vers cette vidéo de la YouTubeuse Clarinette, “Pourquoi on déteste les fangirls ?” :
Rien à voir mais follow up du #2 de Prisme sur nos habitudes alimentaires
🐄 Le lait se fait cancel
Le numéro 2 de Prisme sur les habitudes alimentaires continue d’être très consulté, et vous aviez été nombreux·ses à réagir, je garde donc en tête de retravailler sur ce sujet prochainement !
Cette semaine, j’ai lu que les produits laitiers se font cancel : l’opinion publique dicte les comportements alimentaires et les Gen Z se sentent honteux de commander du lait de vache en public. D’après une enquête menée par la marque à l’origine de la complainte (Arla), 57% de la gen Z prévoit de ne plus manger de produits laitiers dans l’année à venir.
🎧 Paresse Business : petits livreurs et gros profits : Le nouvel épisode du podcast Vivons heureux avant la fin du monde dédié à l’économie de plateforme (Delphine Saltel, Arte Radio) s’attaque aux plateformes de livraison.
👨⚖️ Rien à voir tout court
Je n’aurais jamais cru à mon tour condamner le tribunal médiatique que représentent les réseaux sociaux, mais je suis extrêmement alarmée par la haine totale qui vise Amber Heard alors que le procès qui l’oppose à son ex-mari Johnny Depp reçoit une couverture médiatique sans précédent.
Je n’ai aucun souvenir d’une réaction un tant soit peu similaire dans un cas où un homme était accusé de violences envers une femme.
Je suis fatiguée d’avance par l’argument que ce procès va devenir dans les débats sur les plaintes déposées par les femmes pour viols, violences sexuelles, violences conjugales, etc. Pour rappel en France, on estime que 3 à 4% des accusations de violences sexuelles sont fausses. 96% des accusations sont fondées.
Je suis la seule à trouver la couverture du procès effrayante ?
Avant de partir, un dernier sondage !
Prisme est toujours un petit peu longue, parce que je tire le fil d’une idée initiale, mais j’espère que vous vous accrochez ! Toujours est-il, j’élague beaucoup à partir de ma version brouillon, et une amie m’a suggéré de partager les passages que j’ai retirés avant la vdef. C’est en général un article en plus sur le sujet, une idée qui serait trop longue à développer, une blague…
Seriez-vous intéressés par un entre-deux-prisme, avec du contenu qui n'a pas été retenu dans la version finale ?
A la prochaine ! Encore une fois, si ça vous a plu, pensez à partager cette newsletter autour de vous :)
Super ! En tant que mec cis het on m'avait toujours bien appris à mépriser Harry Styles, One direction & les directionneuses pendant l'adolescence. C'est donc à reculons que je me dirigeais vers la lecture d'un article le mettant en couverture. Au final j'ai adoré tout les fils que t'as pu en découdre autour des male & female gaze, superbe exemple ! A la prochaine !
Merci beaucoup pour cette newsletter !! Je trouve la question d'Harry Styles super intéressante, car la réception de ses tenues, son comportement et son positionnement est également je pense très liée à 1) le flou qu'il entretient sur sa sexualité 2) le fait qu'il soit blanc 3) le fait qu'il fasse de la pop. On a pu voir récemment des réactions bien moins bienveillantes pour d'autres hommes du milieu musical, qui eux ne bénéficiaient pas de ces trois critères en plus (je pense à Lil Nas X avant tout mais il y en a d'autres).
Toujours contente de lire tes analyses hâte de la prochaine !